Le gouvernement l’a évoquée récemment , la fin du confinement sera progressive. Le confinement a permis d’aplatir la courbe de la pandémie et de franchir avec le moins de morts possible, le pic de contamination. Mais les besoins sont là. Les besoins de consommables : aliments, énergie. Les besoins de services de santé, de communication, courrier, de transport de marchandises et de personnes. Enfin les besoins de biens durables car il faut des pièces pour pouvoir réparer et des biens neufs pour pouvoir remplacer les biens de consommation comme les biens de production …
A l’heure où on met en avant la nécessité de relocaliser les filières de productions en Europe, il faut que les entreprises puissent reprendre progressivement leur activité. Les grands groupes comme les artisans et les auto-entrepreneurs vont avoir besoin de recommencer à produire.
L’ « hibernation des entreprises » n’est pas possible longtemps
Certaines entreprises subissent une baisse abyssale de leur activité. Cela leur est économiquement insupportable c’est pourquoi les Etats européens se sont engagés dans des politiques de soutien financier à travers des reports de charges sociales et fiscales, un assouplissement du droit des congés payés et du chômage partiel ou de prêts garantis (ou même un financement en capital social) comme dans le cas d’Air France KLM par exemple.
voir aussi l’article Les dispositifs – TPE pour faire face à la crise du covid 19
Mais G. Roux de Bézieux, président du MEDEF, recommandait aux chefs d’entreprise, pendant la période de confinement, d’assurer la continuité des activités dans tous les domaines où cela était possible(1). Une production est en effet nécessaire en permanence pour approvisionner les différents marchés des biens de consommation. Les entreprises doivent produire afin de satisfaire une demande qui a continué de se manifester le plus souvent à distance et qui va s’amplifier avec la fin du confinement.
D’ailleurs, certaines grandes entreprises comme Véolia et comme d’autres opérateurs d’importance vitale (OIV), ont l’obligation de maintenir leurs activités en toute circonstance en raison de leur caractère indispensable (distribution d’eau, traitement des eaux usées, gestion des déchets, etc..).
Le confinement, comme une phase d’apprentissage
En fait, les règles du confinement nous ont guidé dans la vie quotidienne comme dans les relations de travail. Les entreprises doivent définir un cadre de travail très sécurisé afin que tous soient rassurés sur les conditions de déroulement de l’activité. Ce sont les plans de continuité d’activité et autre protocoles de maintien de l’activité.
On peut rappeler ici la responsabilité générale de tout employeur en matière de sécurité de son personnel. Il s’agit d’une obligation de résultat qui peut conduire, en cas de manquement, à des sanctions civiles et pénales. On peut considérer le confinement comme un temps d’apprentissage de nouvelles façons de travailler car nul ne sait combien de temps l’épidémie durera.
Dans l’agriculture la production n’a pas cessé car le rythme des saisons s’impose à tous. Néanmoins des récoltes ont été perdues faute de main d’œuvre ou de moyens de distribution. Cela n’est pas tenable à moyen terme, autant pour les exploitants que pour les consommateurs qui ont besoin de ces produits.
Dans l’industrie et l’artisanat, pour les activités de service et d’accompagnement et de gestion de la production, on peut certes recourir au maximum au travail à distance. Mais cela a ses limites, la coordination des équipes, le contrôle qualité, le contrôle de gestion par exemple, nécessitent du travail sur site.
La mise en œuvre d’une production sécurisée
Des plans de déconfinement sont mis en oeuvre dans les entreprises autorisées à reprendre leur activité. Des fiches métiers et des guides d’accompagnement du déconfinement sont mis à la disposition des entreprises et salariés sur le site du ministère du travail.
Ces plans de déconfinement sont définis, entreprise par entreprise, en fonction du type d’activité afin que la reprise se fasse en confiance.
La prise de température des salariés à l’entrée des établissements. Parfois le dépistage à la demande des salariés.
La distance entre deux salariés, la désinfection quotidienne des machines et avant chaque prise de poste. La mise à disposition de gel hydroalcoolique et l’incitation au lavage régulier des mains (qui peut être rappelé par un signal sonore). La distribution de masques ou/et de visières en prenant en compte le besoin supplémentaire des salariés utilisant les transports en commun. Un marquage au sol et une redéfinition de la circulation des personnes dans les locaux. Un réaménagement des bureaux. La mise en place de panneaux de plexiglas. Un arrêt de la climatisation des locaux. Des horaires déclés et une rotation du personnel dans les locaux. Toutes ces mesures peuvent être utilisées pour protéger et pour rassurer les salariés afin qu’ils puissent travailler en confiance et se concentrer sur leurs tâches.
L’entreprise Michelin a ainsi redémarré progressivement l’activité de ses sites de fabrication en Europe tandis que ses usines asiatiques et en Amérique du sud fonctionnent. Certains sites fonctionnent déjà comme l’usine de Troyes.
Selon le président de Poclain, Laurent Bataille (2), l’un des challenges de nos entreprises est de se préparer au redémarrage de l’économie européenne. En effet, selon lui « A l’heure actuelle, l’appareil industriel français tourne au ralenti. Mais l’industrie chinoise, plus automatisée et en avance de phase par rapport à l’Europe dans la vague épidémique, est en redémarrage. Chinois et Japonais vont aller vite et chercher à prendre des places. »
A plus long terme on peut s’attendre dans l’industrie à un développement plus important de l’automatisation des procès de fabrication avec des investissements dans la robotique.
Pour autant la numérisation d’un grand nombre d’activités dans les services et la formation à distance (e-learning) pendant le confinement vont perdurer pour se combiner à des activités « en présentiel ». On peut donc prévoir que dans les services comme dans l’industrie la production se fera désormais « autrement ».
Les pouvoirs publics ont pris en main le sauvetage de l’économie
On voit aujourd’hui que les dirigeants politiques des pays européens ont pris la mesure de la crise économique, sanitaire et sociale avec des politiques économiques volontaristes, en France, en Allemagne (plan de secours de 822 milliards d’euros) et au niveau européen (plan de rachat de dettes de la BCE). Des nationalisations de grandes entreprises sont même envisagées en Italie, France, Allemagne, Espagne, etc..
Ils se sont ainsi affranchis par nécessité des règles de discipline budgétaire européenne. Pour certains observateurs, cela montre que des changements importants seront possibles. Ils seront d’ailleurs indispensables car les modèles économiques de nos sociétés sont mis à mal par cette crise.
La Banque centrale européenne a mis en place un programme de prêts ciblés qui fournit jusqu’à environ 3 000 milliards d’euros de liquidité aux banques à un taux d’intérêt négatif pouvant aller jusqu’à – 0,75 %. Un autre programme d’assouplissement des garanties, est axé sur les petites entreprises, les travailleurs indépendants et les particuliers auxquels les banques peuvent accorder des prêts tout en se refinançant auprès de la BCE à des taux négatifs pour une durée allant jusqu’à 3 ans.
La plupart des grandes entreprises françaises ont pu négocier des prêts avec leurs banques pour financer ce passage difficile. Pour certaines, comme Air France, Renault, Fnac-Darty, Europcar ou encore Conforama, moins bien notées par les agences de rating, la garantie de l’Etat est nécessaire. Un mécanisme de prêt garanti par l’Etat (PGE) a été mis en place, destiné à toutes les entreprises françaises en besoin de financement lié à la crise sanitaire.
Mais favoriser la reprise ne suffit pas
Saurons-nous profiter de cette remise en cause pour remettre sur pied un modèle économique recentré sur l’Europe qui permette de développer les économies des pays composant notre « grand marché unique » ?
En effet, une stratégie de relocalisation doit s’imposer aux entreprises qui veulent pouvoir accéder au grand marché européen. Selon Patrick Artus, économiste chez Natixis, « il y aura un retour à des chaînes de valeur régionales, avec l’avantage d’une fragilité moindre et d’une diversification des risques »
( Voir aussi sur ce blog l’article : Les impacts du coronavirus sur les entreprises françaises )
Mais pour cela la puissance publique doit jouer un rôle incitatif et facilitateur.
Selon Dominique Méda, professeure de Sociologie à Paris-Dauphine, il faut aller plus loin encore et « reprendre la main et sur la finance et sur la production, revenir sur la liberté de circulation des capitaux et sur l’actuelle division internationale du travail. » (3)
Cela signifierait concrètement doter l’Europe d’un système de contrôle des flux monétaires et financiers entre l’Europe et l’extérieur.
Cela signifierait également construire une politique industrielle, budgétaire et fiscale européenne qui oriente les entreprises vers des logiques nouvelles : privilégiant les implantations intra-européennes, économisant l’énergie et les ressources naturelles, orientées vers une autonomie et une indépendance européenne en matière sanitaire mais aussi alimentaire, énergétique, industrielle en respectant les équilibres écologiques. (4)
La soutenabilité et la réduction des inégalités doivent devenir des priorités pour reconstruire une activité économique prospère. Un renouveau et un regain, pour tourner la page et repartir d’un bon pied. On voit qu’il y a fort à faire et qu’il faudra beaucoup d’efforts de nos politiciens pour que tout cela ne se perde pas dans une « tour de Babel » européenne.
En effet, si aucun changement n’est impulsé par les pouvoirs publics nationaux et européens, alors qu’ils ont aujourd’hui la main, le risque est que la reprise lorsqu’elle aura lieu soit un redémarrage de l’économie « comme avant », comme si rien ne s’était passé pour compenser la baisse de production et de revenus.
Relocaliser les activités qui peuvent être réalisées sur place en Europe dans une recherche d’économie et de recyclage de nos ressources et de limitation des pollutions générées doit être désormais une priorité des pays européens. Il y a là un champ d’innovations, d’investissements et de recours aux nouvelles technologies de la biologie, de l’énergie, du recyclage et de l’intelligence artificielle qui doit permettre à l’économie de redémarrer autrement.
C’est cette ambition qu’il faut populariser et défendre afin que nous ne n’ayons plus à subir la mécanique aberrante d’un libéralisme économique sans contrôle qui nous mènerait sans vergogne jusqu’à la prochaine crise sanitaire ou écologique.
(1) Voir aussi l’article de ce blog : « Les impacts du coronavirus sur les entreprises françaises »
(2) Voir l’interview de Laurent Bataille « Le capitalisme à l’européenne à l’heure du grand test » La Quotidienne des entreprises En action de l’Institut de l’entreprise (Club du MEDEF), 25 mars 2020
(3) Interview de Dominique Méda par D. Lafay « Nous devons tout repenser » dans La Tribune, 21/03/2020
(4) Voir également l’article de ce blog : « Pour une mondialisation maîtrisée »