En juin 2018, les plus hauts dirigeants de France Télécom (devenue Orange en 2013) sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour le délit de harcèlement moral au terme d’une l’enquête qui a suivi de nombreux suicides dans l’entreprise France Télécom au cours de la fin de la décennie 2000. Les juges d’instruction du Pôle Santé publique de Paris, ont conclu à un » harcèlement organisé a l’échelle de l’entreprise « , et ont considéré que les suicides étaient le résultat d’un management toxique (1) relevant de la direction générale de l’entreprise. Contrairement aux pratiques habituelles, ce ne sont pas ici les cadres intermédiaires et chefs de service qui sont poursuivis.
En décembre 2019 l’entreprise France Télécom a été jugée coupable de harcèlement moral organisé et a condamnée à une amende de 75 000 euros, la peine maximale fixée par la loi. Les trois dirigeants ont eux-mêmes été reconnus coupables et condamnés à un an d’emprisonnement, dont huit mois avec sursis. Quatre autres cadres dirigeants de haut niveau, ont été condamnés pour complicité à quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende.
Le tribunal s’est appuyé sur le fait qu’une « politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents » avait généré des agissements qui, par leur répétition, s’étaient avérés « porteurs d’une dégradation potentielle ou effective des conditions de travail de cette collectivité » et enfin que les dirigeants avaient ainsi « outrepassé les limites du pouvoir de direction ». (2)
En effet, selon les juges la stratégie, définie par le plan Next, avait fixé à l’entreprise « un objectif de déflation massive des effectifs » qui était « inaccessible sans porter atteinte au statut d’emploi du plus grand nombre».
C’est en particulier lors d’une réunion des cadres de France Télécom à la Maison de la chimie à Paris, en octobre 2006 que Didier Lombard, dirigeant de l’entreprise a pu affirmer : « En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la porte ou par la fenêtre ». Les jugent ont relevé à ce propos : « Le ton est donné : ce sera celui de l’urgence, de l’accélération, de la primauté des départs de l’entreprise, de gré ou de force. » Selon le tribunal, cette convention a constitué le fondement des agissements répétés de harcèlement moral généralisé, en 2007 et en 2008, par la forte pression exercée sur l’encadrement, dont la rémunération était liée par une prime, à la baisse des effectifs des services. C’est donc la stratégie de déflation des effectifs continuellement réaffirmée par la direction qui a entraîné les agissements de harcèlement des managers « sous pression » et « placés entre le marteau et l’enclume ».
Les 3 juges du tribunal correctionnel ont précisé également que les dirigeants d’entreprise doivent rester « respectueux du cadre légal » et doivent donc fixer « un objectif accessible sans recourir à des abus ». Les juges ont affirmé que sans critiquer les choix stratégiques des dirigeants, il avaient le devoir d’intervenir quand « les moyens choisis pour atteindre leurs objectifs sont interdits ».
Les juges ont retenu trois leviers de ce harcèlement moral institutionnel : la pression au contrôle des départs dans le suivi des effectifs par l’encadrement ; l’impact sur la rémunération des cadres en faisant dépendre partiellement, la part variable de la baisse des effectifs de leurs unités ; le conditionnement des esprits des « managers » au succès de l’objectif de déflation de l’effectif.
Les dirigeants ont été condamnés solidairement à verser aux parties civiles une somme dont le total dépasse les trois millions d’euros.
Les dirigeants ont indiqué leur intention de faire appel de leur condamnation.
On constate ici qu’un management toxique a été mis en œuvre afin de dégrader les conditions de travail, pour pousser certains employés au « départ volontaire », dans le but d’économiser à l’entreprise des indemnités de licenciement.
(1) Le management toxique in Ch 6 – Aide-mémoire Management et économie des entreprises, G. Bressy et C. Konkuyt 12lème ed. Sirey 2018)
(2) Voir aussi les articles des journaux Le Monde du 21 dec 2019, Le Figaro 20 décembre 2019, La Croix du 20 décembre 2019