Contrôler n’est pas surveiller
Le pilotage de l’entreprise suppose d’exercer un contrôle mais celui-ci ne doit pas compromettre la coopération.
Le contrôle des activités est nécessaire au pilotage d’une organisation. Il est là pour permettre de vérifier que celles-ci se déroulent conformément aux consignes données et/ou aux objectifs fixés. Et aussi qu’elles s’exercent sans conséquence négative sur l’environnement de l’entreprise ni sur son patrimoine.
Ce contrôle permet, par comparaison avec les objectifs fixés, un ajustement des processus mis en place pour réaliser l’activité. Une démarche d’amélioration continue se met ainsi en place.
Le risque d’un pilotage devenu exclusivement « surveillant »
Or ce contrôle ne doit jamais être confondu avec la surveillance qui est vite ressentie comme un « flicage » des personnes au travail. Ce sentiment a pu se développer récemment dans les entreprises avec la pratique du télétravail. Celle-ci s’est parfois accompagnée du recours à des logiciels dits de suivi qui mesurent de façon automatique l’activité sur écran : pointage en ligne , mesure du temps de présence, décompte des demi-journées, vérification d’activité. Le caractère automatique de ce contrôle peut être mal ressenti. Surtout s’il n’est pas accompagné par le manager qui doit expliquer la nécessité d’un tel contrôle.
Il convient surtout d’ éviter qu’il ne se combine avec un surcroît de bureaucratie. En effet, ces mesures automatiques peuvent susciter le besoin de donner un sens à l’activité mesurée en heures de travail en fixant des objectifs. Or la mise en place d’objectifs doit être pratiquée avec légèreté et mesure.
Le risque d’un fonctionnement devenu bureaucratique
Néanmoins ce contrôle par les objectifs ne doit pas alimenter le développement d’un biais bureaucratique dans le fonctionnement général de l’entreprise. Si la fixation d’objectifs peut être justement le moyen d’éviter une surveillance tatillonne des temps de travail, leur multiplication peut être génératrice d’une bureaucratisation du contrôle et bientôt de l’entreprise toute entière.
> Car la gestion par objectifs appelle l’interprétation des résultats et celle ci suppose un temps de travail spécifique des managers ou pire un travail spécialisé de contrôle de gestion appliqué aux objectifs de travail.
> Dans le cas d’objectifs trop nombreux (qui doivent selon leurs promoteurs permettre un pilotage plus fin de l’activité) le temps passé à « renseigner » ou à rendre compte de leur réalisation devient parasite. Cela transforme la fonction des opérationnels, parfois au point de les décourager.
> Le caractère administratif qui envahit alors le travail opérationnel a un impact direct sur les activités en « volant du temps opérationnel» ce qui réduit la productivité elle même.
> De plus le « carcan » des objectifs peut priver les opérationnels de toute réactivité et encore plus de créativité face aux besoins des clients, réduisant ainsi la qualité des processus que l’on voulait soit-disant garantir à force d’objectifs.
> Plus encore, la contrainte des séances de reporting (ou « dialogues de gestion ») organisées par les superviseurs à échéances régulières aboutit à orienter progressivement l’activité des opérateurs vers la réalisation des objectifs planifiés. Et cela indépendamment de la prise en compte réelle des besoins des clients et utilisateurs. C’est le fameux biais bureaucratique dénoncé par Michel CROZIER dès les années 60. (1)
Développer la coopération
Or la pratique de la coopération est indispensable au bon déroulement des processus de l’entreprise. Son développement peut venir corriger les effets négatifs du contrôle. A condition que les objectifs de chacun restent assez synthétiques pour être à la fois compréhensibles et supportables.
> Cette coopération peut s’appuyer sur des outils traditionnels comme les réunions mensuelles d’équipe ou les points quotidiens effectués avant la prise de poste. Ou encore, les boites à idée ou les cercles de progrès et commissions ad hoc.
> Elle peut être aussi facilitée par les nouveaux outils en ligne : plate-forme collaborative, planning d’équipe, programme de réalisation de projet, visio conférence,…
> L’organisation de l’entreprise peut la favoriser par la mise en place de fonctions et d’équipes transverses.
> La coopération peut être également stimulée par la pratique des fonctions tournantes. Cela consiste à faire tourner les opérationnels sur certaines fonctions, de sorte que si on ne coopère pas suffisamment avec d’autres opérateurs lorsqu’ils en ont besoin, on risque de subir à son tour leur réticence lorsque l’on aura besoin de leur coopération active.
En conclusion: La coopération est un liant indispensable de l’esprit d’équipe et de la culture d’entreprise. Or sans eux le fonctionnement de l’entreprise devient celui d’une mécanique sans âme (La « boite » ou, pire, la « taule » dans laquelle on vient travailler à reculons). La coopération permet aussi à chaque membre de l’entreprise d’accepter un contrôle des activités et des résultats. Et celui-ci reste indispensable au pilotage de toute organisation. (2)
Notes:
(1) Voir aussi CH 13 Les théories des organisations in Management et économie des entreprises, 12ième édition, Sirey, 2018