Exercer l’autorité dans une entreprise

1) La conception théorique de l’exercice de l’autorité (1)

C’est Max Weber (1) (1869-1924) qui a le premier traité la question dans son ouvrage Économie et société. Il la désigne comme la « domination légitime » exercée par une personne sur d’autres personnes.

Il distingue trois types de cette domination légitime, la réalité pouvant les combiner.

Le charisme : L’autorité est alors dépendante de l’attachement à la personnalité du chef et à la croyance dans les qualités exceptionnelles du dirigeant. Cette forme exclut presque entièrement les normes rationnelles qui pourraient l’encadrer ou la limiter. Si celles-ci existent dans l’organisation elles restent secondaires ou supplétives par rapport aux décisions du dirigeant (entreprise personnelle ou personnalisée).

La tradition est une source de pouvoir légitime dans la mesure où la coutume et la culture de l’organisation sont fortes dans l’esprit des exécutants qui s’y plient avant toute chose (organisations religieuses ou culturelles, compagnonnage).

La rationalité légale repose sur la confiance dans la rationalité des règles qui sont posées et partagées. L’organisation suit un fonctionnement impersonnel et les différents détenteurs du pouvoir s’appuient sur ces règles et procédures pour décider et organiser l’activité. On parle alors de bureaucratie du fait du caractère impersonnel et inflexible des règles et des procédures de travail . Ce terme a pris aujourd’hui une connotation péjorative en raison des biais qui sont apparus lors de la mise en œuvre de cette « rationalité légale ».

2) Les piliers de l’autorité dans l’entreprise

Ils correspondent peu ou prou aux cinq pouvoirs de base définis par deux auteurs, FRENCH et RAVEN dès 1959.

Dans l’entreprise l’autorité s’appuie concrètement sur une combinaison d’éléments. Ceux-ci permettent l’exercice d’un pouvoir plus ou moins légitime, selon la façon dont il est accepté par ceux qui y sont soumis.

> Le pouvoir légitime, accordé par l’entreprise

C’est la place occupée dans la hiérarchie de l’entreprise. Cette position hiérarchique dépend en fait du droit, ce pouvoir s’appuyant à la fois sur le droit de propriété, le droit des sociétés et le droit du travail.(2)

Notre droit reconnaît un pouvoir au propriétaire de l’entreprise, c’est à dire au propriétaire du fonds de commerce ou du patrimoine industriel sur lesquels repose une entreprise donnée. Ou encore à celui qui a été désigné par les associés pour diriger en leur nom ou celui de leur société (Gérant, PDG)

Notre droit reconnaît également un pouvoir de direction à l’employeur sur son personnel puisque le contrat de travail établit un lien de subordination juridique du salarié vis à vis de l’employeur.

– un pouvoir de direction 

Ces sources juridiques du pouvoir permettent à leur détenteur de l’exercer directement sur les collaborateurs à travers des directives, consignes et règlements. Les dirigeants peuvent aussi nommer des cadres de différents niveaux pour exercer le pouvoir dans des domaines spécialisés. Il s’agit de délégation de pouvoir.

Ce pouvoir se concrétise aussi à travers deux facultés complémentaires qui lui donnent une assise importante : la capacité de coercition et le pouvoir de récompenser.

– un pouvoir coercitif

Ce pouvoir de punir, contraindre, sanctionner résulte en fait du précédent. Il permet au dirigeant d’imposer des tâches, des objectifs, un rythme de travail qui ne correspond pas à ce qu’aurait choisi spontanément le subordonné.

Il peut s’appuyer sur l’entretien annuel d’évaluation du salarié, aboutissant le cas échéant sur une absence d’augmentation de la rémunération, ou bien sur des sanctions disciplinaires (mutation, mise à pied, rétrogradation, licenciement)

– un pouvoir de récompenser 

La possibilité de récompenser joue un rôle important pour motiver le personnel. Il peut s’agir de récompenses pécuniaires (augmentation de salaire, primes, mise à l’honneur, promotion, ..)

Pour être bien compris et accepté le pouvoir de sanctionner comme de récompenser doit s’appuyer sur des indicateurs objectifs du travail accompli par les salariés. Il deviendrait contreproductif s’il s’exerçait de façon arbitraire ou discriminatoire, aboutissant alors à une démotivation du personnel. Celui-ci considérerait que le management se fait « à la tête du client ». On frôle dans ce cas un management toxique. (2)

> Le pouvoir tenant à la personne qui l’exerce :

– L’expertise repose sur des qualités professionnelles reconnues de tous et basées sur des compétences (qui combinent des connaissances et des savoir-faire) et sur l’expérience professionnelle. Cette expertise force le respect et donne à son détenteur un ascendant sur ses collègues.

– Le charisme (ou pouvoir de référent) permet à celui qui le détient de s’imposer aux autres. Il s’appuie sur leur affection et leur considération obtenues grâce à sa personnalité. Ce charisme repose donc sur des qualités personnelles : capacité à convaincre, à motiver, à guider et parfois accompagner les collaborateurs.

> Le pouvoir lié au contrôle de l’information et de réseaux informationnels

– Le fait d’avoir accès à l’information (technique, commerciale, sociale, financière ,..) et de pouvoir ou non la partager, la déformer ou la cacher donne un réel pouvoir. Le détenteur de ce pouvoir lié au contrôle des informations peut l’utiliser dans l’intérêt de l’entreprise. Il peut également le faire dans son intérêt propre et l’utiliser comme un élément de négociation.

– Le fait de maîtriser des réseaux d’information au sein de l’entreprise permet de développer des analyses indépendantes de la vision développée par la direction. Il peut s’agir de réseaux liés à la vie syndicale ou à l’amicale sportive ou encore au comité social et économique.

3) Des paramètres peuvent faciliter ou au contraire venir altérer l’exercice du pouvoir au sein d’une entreprise

> Des conditions organisationnelles préalables :

Fixer des objectifs clairs qui s’inscrivent dans le projet de l’organisation. Ces objectifs peuvent être collectifs et assignés à une équipe ou bien individuels.

Ces objectifs doivent être réalistes c’est à dire être atteignables en considérant les compétences maîtrisées et les moyens utilisables.

Chacun peut ainsi ressentir un sentiment de compétence dans son activité ainsi que celui d’être à sa place dans l’organisation.

Les règles de fonctionnement et les procédures doivent être définies avec précision et clarté. Ces règles doivent être appliquées de manière équitable dans tous les domaines (dotation budgétaire, discipline, rémunération, formation, etc..). Chacun peut ainsi ressentir un sentiment d’équité qui donne confiance.

> Les difficultés que peut, rencontrer l’exercice de l’autorité

> La première difficulté peut être liée au fait que les conditions précédentes ne sont pas réunies. L’autorité s’en trouve affaiblie. Cela peut être du à un défaut de recrutement, à une évolution technologique qui rend obsolète l’expertise du responsable, à un défaut de charisme liè parfois à l’évolution des personnalités. Cela peut résulter d’un défaut de reconnaissance de l’organisation elle-même envers le responsable qu’elle prétend mettre en place (alors que son n+1 ne lui délègue aucun pouvoir réel par exemple ou que son niveau de rémunération reste inchangé).

> Une autre difficulté tient parfois à l‘installation au sein de l’organisation de pouvoirs informels, parfois occultes, qui sont exercés sans que cela soit prévu par le mode d’organisation mis en place.Ces pouvoirs informels peuvent tenir à l’exercice d’un prestige de certains membres de l’entreprise (champion sportif, exercice d’une activité extraprofessionnelle reconnue) ou à l’exercice d’une fonction critique au sein de l’organisation (Ex : maintenance et réparation de la machine principale, relation privilégiée avec l’un des principaux clients) ou encore à la maitrise d’une « zone d’incertitude » (au sens de l’analyse de M. Crozier (3)) qui est liée le plus souvent à une faille dans le mode de fonctionnement mis en place au sein de l’entreprise.

> L’exercice vicié du pouvoir, désigné sous le terme de management toxique (2)nous rappelle que les relations au sein de l’entreprise reposent sur les qualités et les défauts des humains qui la composent. Dans certains cas les responsables investis d’un pouvoir hiérarchique peuvent l’exercer au détriment de leurs subordonné(e)s. Ce pouvoir hiérarchique devient alors arbitraire et écrasant suivant la déviance psychologique de son détenteur. Au delà de la démotivation, les dommages psychologiques peuvent être importants pour les victimes. On évoque alors un harcèlement moral ou un harcèlement sexuel selon les cas définis par le droit du travail et le droit pénal.

Notes:

(1) Max Weber, La domination, Ed La Découverte, 2015

(2) Voir Management et économie des entreprises, 12 ième édition Aide Mémoire SIREY 2018, CH6 p 120 et 121

(3) Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Points Essais, réédition 2014

Auteur : GB

Voir aussi l'Aide-mémoire "Management et économie des entreprises" 12ième édition 2018 SIREY (Groupe DALLOZ)