Les évènements
Fin 2018, Carlos Ghosn, qui est le dirigeant qui a mis en place l’alliance Renault Nissan Mitsubishi, fait l’objet de plusieurs poursuites de la part du parquet de Tokyo pour diverses malversations financières présumées sur la période 2010-2018, notamment pour ne pas avoir déclaré certains revenus aux autorités boursières japonaises et pour abus de confiance. Il est incarcéré puis assigné à résidence sur le territoire japonais. L’interpellation de Carlos Ghosn et de son bras droit Greg Kelly a suscité de nombreuses critiques, notamment celles de Carlos Ghosn lui-même qui a dénoncé un complot contre lui de la part des dirigeants de Nissan qui étaient opposés à une véritable intégration de Renault, Nissan et Mitsubishi dans une même entité.
Or, en février 2020 C. Ghosn s’est réfugié au Liban après une « évasion » rocambolesque du territoire japonais. C.Ghosn a la nationalité libanaise et aucun accord d’extradition n’existe dans ce pays à destination du Japon.
Néanmoins, le procès de Carlos GHOSN doit se dérouler au Japon mais les conditions de détention des personnes mises en accusation sont tellement dures qu’elles remettent implicitement en cause la présomption d’innocence à laquelle nous sommes attachés en France. A savoir qu’une personne poursuivie est présumée innocente tant qu’elle n’a pas été reconnue coupable par un tribunal après qu’il ait entendu sa défense. Cette affaire a d’ailleurs déclenché au Japon un mouvement de contestation de la procédure judiciaire, en particulier la pratique d’interrogatoire sans avocat et de la garde à vue pouvant durer jusqu’à 23 jours et renouvelable indéfiniment…sans parler du taux de condamnation de 99% qui résulte du fait que dès qu’une personne est arrêtée, elle est considérée comme coupable.
La chronologie des évènements: |
CG est arrêté le 19 novembre 2018 soupçonné d’avoir omis de déclarer une grande partie de ses revenus aux autorités boursières japonaises entre 2010 et 2015. |
Le 21 décembre 2018, il est soupçonné d’avoir tenté de faire supporter par Nissan en 2008, des pertes sur investissement personnel. |
Le 11 janvier 2019, il est inculpé pour abus de confiance. |
En février, Renault signale à la justice que C. Ghosn a reçu pour son « bénéfice personnel » (l’organisation de son mariage en 2016) un avantage en nature de 50 000 Euros dans le cadre d’une convention de mécénat signée avec le château de Versailles. |
Fin mars, Renault signale à la justice plusieurs millions d’euros de paiements suspects via la société distribuant les véhicules du groupe Renault à Oman |
Le 4 avril, il est accusé d’avoir utilisé 5 millions de dollars pour son bénéfice personnel ce qui fait qu’il est de nouveau inculpé le 22 avril pour abus de confiance par le Parquet japonais. |
Le 4 juin, les résultats d’un audit interne mené par Renault et Nissan au sein de leur filiale néerlandaise RNBV révèlent 11 millions d’Euros de dépenses suspectes engagées par Carlos Ghosn. |
Le Lundi 30 décembre, Carlos Ghosn s’enfuit du Japon où il était assigné à résidence pour se réfugier au Liban en voyageant sous une fausse identité. |
Les divers commentaires et explications
Dans une interview menée par France Inter au Liban, C. Ghosn se présente comme la victime d’une cabale et d’un traitement injuste et inhumain.
Tandis qu’en France, le Ministre de l’Économie a attendu près de quatre mois avant de permettre à Renault de remplacer son PDG en s’appuyant sur la présomption d’innocence : « “ J’ai toujours indiqué, en rappelant la présomption d’innocence de Carlos Ghosn, que s’il devait être durablement empêché, nous devrions passer à une nouvelle étape. Nous y sommes”, a déclaré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, sur LCI (Le Monde 17/02/2019).
C. Ghosn avait fondé sa stratégie industrielle sur l’alliance Renault Nissan dès 1999 quand Renault avait pris le contrôle de Nissan. De nombreuses synergies avaient pu être mises en oeuvre par l’ingenierie, la production, les approvisionnements. Cette alliance qui a profité aux deux partenaires en permettant le redressement de Nissan et en améliorant la rentabilité de Renault a connu une crise majeure après l’affaire Ghosn. Celle-ci s’est traduite par un affrontement entre les deux directions, une tentative bloquée de fusion, un projet bloqué lui aussi de regroupement Renault Fiat Chrysler.
Mais l‘alliance Renault Nissan Mitsubishi a finalement décidé de tourner la page Carlos Ghosn et de se réorganiser en s’appuyant sur un conseil opérationnel qui regroupe les dirigeants des 3 entreprises et qui est présidé par Jean Dominique Sénard et qui va se réunir tous les mois en France ou au Japon. Aucune modification n’est prévue en matière d’actionnariat. Selon J.D. Sénard les décisions du conseil seront basées sur le consensus.
Les conséquences pour l’avenir du groupe
Les relations financières au sein de l’alliance
En 2020, Renault et Nissan continuent de collaborer pour développer des services de mobilité autonome. Mais la rentabilité de Renault s’est effondrée en 2019 du fait du retournement du marché mondial, de la baisse des ventes de Renault, des mauvais résultats de Nissan. Renault se trouve en surcapacité ( capacité : 5 millions de véhicules / 3,7 millions vendus en 2019) Il en va de même pour Nissan. Les deux entreprises vont donc chercher à réduire le niveau de leur seuil de rentabilité en amenuisant leur appareil de production par des fermetures d’usines et en développant des synergies au niveau R&D, plateformes de fabrication et approvisionnements.
On remarque dans cette affaire l’existence de jeux de pouvoir qui se sont exercés en coulisse au plus haut niveau de l’alliance. De sorte qu’un dossier complet amène soudainement la justice japonaise à poursuivre Carlos Ghosn qui jouissait jusque là au Japon d’une excellente réputation et d’une certaine popularité.
Finalement, la dénonciation de présumées malversations du dirigeant Carlos Ghosn, à un moment où celui-ci s’apprêtait à fusionner les entreprises de l’alliance, a bouleversé le management des deux principales entreprises impliquées dans cette alliance: Renault et Nissan. Un flottement en a résulté dans le pilotage, ce qui a conduit à de mauvais résultats d’exploitation et à une certaines désaffection des actionnaires, au détriment des deux entreprises et de leur personnel.
On observe dans cette affaire, indépendamment des éventuelles malversations qui seraient liées à un comportement fautif du dirigeant, un cas de leadership si fort qu’il est devenu autocratique et que ni les contrepouvoirs, ni les organes de contrôle n’ont pu jouer normalement. On a abouti ici à l’exercice d’un pouvoir sans contrôle (1). |
(1) Voir L’exercice du pouvoir dans l’entreprise, p118 à 128 in Aide-mémoire Management et économie des entreprises, G. Bressy et C. Konkuyt, 12ième édition, SIREY 2018