A l’heure où le coronavirus bouleverse l’économie et remet en question le déroulement des activités des entreprises, on prend conscience de l’importance de la capacité de celles-ci de s’adapter au changement. Il faut apprendre pour faire face, pour s’adapter et en tirer des avantages pour l’avenir.
Une entreprise peut-elle apprendre et comment ? Et quelles sont les conditions de cet apprentissage organisationnel ?
De façon générale, les entreprises comme les humains sont confrontées en permanence au changement. Changement des réglementations, changement technologique, changement des comportements, changement des prix et des marchés, changements des alliances et des partenariats, etc..
Qu’est-ce qu’une organisation apprenante ?
Qu’est-ce qu’une organisation apprenante ?
L’apprentissage qui se conçoit bien à l’échelle d’une personne n’est pas si évident au niveau d’une organisation comme l’entreprise. Comment celle-ci peut-elle devenir apprenante ? Pour changer elle-même l’entreprise doit apprendre de nouvelles façons d’exercer son activité mais elle doit aussi apprendre à changer puisque le changement devient lui-même une contrainte permanente.
Les changements de son environnement peuvent être lents, progressifs et prévisibles et dans ce cas, elle pourra s’adapter dans la durée. Mais ils peuvent aussi être soudains et imprévisibles et dans ce cas, l’entreprise ne pourra compter que sur sa faculté d’adaptation rapide, ce qui s’improvise rarement.
Une « organisation apprenante » (learning organization) est capable d’apprentissage. Elle sait inventer ou s’approprier des connaissances et des savoir-faire. Elle facilite pour cela l’apprentissage de ses collaborateurs. Cette pratique de l’apprentissage l’amène immanquablement à évoluer. Habituellement, le changement sera impulsé par la hiérarchie et l’encadrement, sans que cela soit une règle. Quoi qu’il en soit, pour qu’il soit couronné de succès, il faut que toutes ses parties prenantes (services, personnel, partenaires) soient convaincues de son intérêt et disposent des moyens de le mettre en œuvre.
Comment une entreprise peut-elle apprendre ?
Comment l’apprentissage des nouvelles méthodes et procédures de travail, des nouveaux services et produits peut-il se faire ? Les organisations décentralisées et dont la culture et les procédures sont tournées vers l’émergence et la réalisation de projets et la mise en place de groupes de travail transversaux facilitent un apprentissage collectif (ou « organisationnel »). La communication accompagne et complète les évolutions organisationnelles pour que les nouvelles solutions soient partagées ou mises à la disposition de tous les services. Le recrutement des salariés puis la culture de l’entreprise vont eux-mêmes valoriser l’aptitude à apprendre et à changer chez chacun de ses membres.
D. Garvin (1) (1993) considère qu’il existe cinq moyens pour une organisation de pratiquer l’apprentissage organisationnel :
- -la résolution de problèmes en groupes de travail;
- -l’expérimentation de solutions nouvelles par des groupes ou des services « pilotes»;
- -la coopération avec les partenaires (clients, fournisseurs, sous-traitants
notamment) ; - -le fait savoir capitaliser les leçons de
son expérience et de celle des autres (benchmarking) ; - – le fait d’assurer un transfert de connaissances.
Quelles sont les conditions pour que l’entreprise puisse apprendre ?
Finalement on voit que l’ « entreprise apprenante » doit disposer d’une forme d’organisation adaptée à l’apprentissage et même tournée vers l’apprentissage. Des difficultés peuvent survenir dans la mesure où l’organisation est le résultat de son histoire, de son passé et des procédures qui ont progressivement été mises en place. D’ailleurs, il arrive fréquemment que l’on empile les procédures faute de temps pour réorganiser entièrement les processus. On pourrait dire que parfois les expériences et apprentissages organisationnels passés viennent contrarier l’apprentissage et l’adaptation actuellement nécessaires. Certains auteurs parlent même de « routines organisationnelles défensives » qui viennent s’opposer aux changements nécessaires à l’adaptation aux changements de l’environnement (Chris Argyris) est la fameuse « résistance au changement » qui existe dans la plupart des communauté humaines.
C. Argyris et D. Schon (2) sont les auteurs qui ont montré que l’apprentissage organisationnel est une démarche itérative. C’est-à-dire qui se déroule de façon répétitive, selon une succession d’approximations, qui de correction en correction, devient de plus en plus proche de la solution recherchée. Ils distinguent les ajustements qui se font par une simple modification dans les moyens engagés (dits en « simple boucle ») des ajustements qui vont porter également sur le processus lui-même (modélisation du problème, objectifs, dispositif mis en place).
Selon les auteurs de la thèse évolutionniste de la firme, même si les procédures de travail (routines) sont héritées du passé de l’entreprise, c’est le marché qui sélectionne progressivement les procédures pertinentes et invalide les autres qui sont alors abandonnées.
Ces procédures de travail sont mises en œuvre par un ensemble de collaborateurs qui les partagent et les font évoluer au fil du temps. Il peut s’agir de « communautés de pratique » (E. Wenger, 1998) (3) souvent auto-organisées et qui échangent sur un réseau télématique (internet, intranet ou extranet), au sein desquelles existe une dynamique qui peut favoriser l’apprentissage.
L’entreprise qui souhaite favoriser l’apprentissage pour faire face à un environnement changeant va donc mettre en place un réseau de communication efficace, des groupes de travail spécialisés ou transversaux (qui peuvent intégrer des coopérations externes), des expérimentations au sein d’équipes pilotes (ou commissions « ad hoc ») mais aussi un management des connaissances qui assure la capitalisation des nouvelles procédures par leur formalisation et leur partage (stages de formation, mise à disposition en ligne, actions de communication internes, etc..). Voir aussi à ce propos le modèle du dégel de K. Lewin. (4)
Tout cela implique une organisation souple à organigramme relativement plat (ligne hiérarchique restreinte) mais aussi une capacité financière d’investir dans la recherche de ces nouvelles formes d’organisation du travail sans lesquelles l’entreprise ne pourra pas s’adapter pour rester compétitive. En effet cette recherche nécessite un temps de travail important de la part des salariés impliqués et ce temps de travail constitue un investissement immatériel (5) indispensable.
Dans certains cas malheureusement le changement est brutal et prend la forme d’une crise à laquelle il faut s’adapter en urgence. Dans ce cas l’entreprise peut improviser et compter sur la chance pour faire face et rebondir, en s’appuyant le cas échéant sur un savoir-faire ou un actif secondaire (Exemple de l’entreprise Intel qui a su se reconvertir dans les microprocesseurs à partir d’une crise dans le secteur des mémoires informatiques sous la pression des constructeurs japonais, dans les années 1980). Néanmoins lorsque l’environnement sectoriel est chaotique la meilleure solution semble de se préparer aux crises en mettant en place et apprenant une méthodologie spécifique de la gestion de crise. (Pettigrew, A.M. 1990)(6)
- (1) D. A. Garvin, « Building a learning organization », Business Credit, Vol 96, n°1,1994
- (2) Chris Argyris et Donald A. Schön, L’apprentissage organisationnel, théorie, méthode et pratique [« Organizational Learning: A Theory of Action Perspective »], 1978
- (3) E. Wenger, Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity, Cambridge University Press, 1998
- (4) K. Lewin, Kurt Lewin, The mecanisms of change, New York: Harper & Row, 1947
- (5) Voir aussi la notion de capital immatériel de l’entreprise dans l’Aide-mémoire Management et économie des entreprises, SIREY 12ième édition, 2018
- (6) Pettigrew, A.M. Longitudinal field research on change: Theory and practice in Organization Science 1:267-292 · August 1990