Faut-il libérer l’entreprise pour améliorer son efficacité ? C’est au cours des années 2000 que l’expression « entreprise libérée » est apparue en management d’entreprise.
- Libérée de quoi ?
Certains pourraient penser qu’il s’agit de libérer les entreprises de la tutelle de l’Etat, ou des contrôles administratifs, ou de la pression fiscale et sociale ?
Pas du tout, il s’agit de libérer l’entreprise de la rigidité hiérarchique qui étouffe les entreprises à partir d’une certaines taille. D’ailleurs, il vient parfois à l’esprit que le fonctionnement de telle ou telle entreprise ressemble à s’y tromper à celui d’une administration comme la sécurité sociale ou une préfecture. Pourtant les entreprises sont en règle générale soumises à la concurrence dans leur secteur d’activité. Elles doivent donc être réactive ou même proactives et s’appuyer pour cela sur la créativité et la flexibilité de leurs membres.
Comment le pourraient-elles si ceux-ci n’ont aucune marge de manœuvre ni aucune capacité d’initiative dans la résolution des problèmes et pour surmonter les contraintes qui pèsent sur l’exploitation ?
- Libérée comment ?
Il faut donc libérer les salariés de la camisole hiérarchique rigide qui pèse sur les vieilles entreprises pyramidales avant que celles –ci ne périclitent, engluées dans leurs routines de travail devenues obsolètes et inadaptées. (1)
On va donc développer l’autonomisation (ou la « capacitation ») du personnel.
Isaac GETZ et Brian M. CARNEY se sont appliqués à illustrer cette libération par plusieurs exemples d’entreprises dynamiques dans leur ouvrage célèbre « Liberté et Cie » (2) . Les entreprises libérées étant soudées par une vision et des objectifs communs à leurs membres et non plus par un contrôle hiérarchique paralysant, voire un management toxique !
Certains considèrent que le manque d’audace entrepreneuriale est une spécialité française. Néanmoins le problème de la sclérose organisationnelle semble tout à fait universel. Une organisation se construit avec succès à un moment donné en fonction des contraintes du secteur et d’une stratégie pertinente. Puis le temps passe et tout change autour de l’entreprise. Mais son organisation est restée la même et devient un frein puis un obstacle. Parfois l’entreprise dans un effort d’adaptation empile de nouvelles procédures de travail sur les anciennes pour compléter ou corriger le processus. Cet empilage va déboucher au fil du temps sur une « usine à gaz » au fonctionnement aussi coûteux qu’inefficace.
Libérer les énergies des salariés passe par la confiance qui leur est faite plus que par l’abolition de toute procédure de travail. La magie de la « libération » d’une entreprise c’est la faculté qui est donnée à ses salariés d’améliorer eux-mêmes les procédures de travail. Grâce à cela l’organisation s’engage sur la voie de l’amélioration continue, c’est-à-dire de l’apprentissage organisationnel.
Dans la plupart des entreprises industrielles, les procédures sont inévitables pour parvenir à une régularité et une qualité de production respectant les normes ISO. L’important est alors que les salariés participent activement à la définition et au perfectionnement de ces procédures. Il faut également leur donner le pouvoir des décisions opérationnelles.
Dans des entreprises dont la production se fait à l’unité ou dans des entreprises de services « sur mesure », il est toujours important de se baser sur l’expérience et le savoir-faire des salariés et leur capacité à s’adapter et à trouver des solutions. L’important est alors de fédérer les salariés autour d’une « vision commune ». Mais pour qu’elle soit commune, elle ne doit pas tomber d’en haut ! Elle doit être débattue par tous et peut évoluer avant d’être finalement acceptée et adoptée par tous.
L’auto-organisation est assez facile tant que le groupe est restreint. Mais dès que l’effectif grandit (dépasse la douzaine), elle devient problématique et on va commencer à entendre l’expression « Ils ont décidé que… » ou bien « Il a décidé que… ». Néanmoins lorsque l’activité est porteuse de règles de travail incontestables (comme c’est le cas dans la fabrication industrielle, la recherche et développement ou dans l’expertise comptable, ou dans la création animée assistée par ordinateur, etc..) l’auto-organisation peut être pratiquée avec un effectif plus important (« en mode start-up »). Dans un tel contexte le patron et les cadres vont jouer un rôle d’animateur et de facilitateur, sans exercer de pression hiérarchique sur le fonctionnement.
La libération d’une entreprise est finalement plus difficile à réaliser qu’il y parait puisqu’il faut en adapter le principe à la nature de l’activité et qu’il s’agit souvent d’un changement complet de la culture de l’entreprise et des mentalités. Un nouveau pacte (au sens où les théoriciens définissent une convention d’entreprise- cf D.K. LEWIS ou P.Y. GOMEZ) doit être adopté par tous. (3)
Les entreprises libérées ne sont pas si nombreuses, comme FAVI, Patagonia, Gore, MAIF, SOL. Les entreprises Décathlon. Michelin, Scania et Toyota sont aussi des exemples correspondant à des degrés divers à des entreprises libérées.
Dans ces entreprises, un grand nombre des emplois consacrés à la transmission hiérarchique et au contrôle sont redéployés sur des activités directement opérationnelles ou sont supprimés. C’est le phénomène d’aplatissement de l’organigramme qui accompagne toute forme de décentralisation et de responsabilisation du personnel (« empowerment »). Cela apporte a l’entreprise libérée un résultat d’exploitation (EBE) accru par rapport à une entreprise classique du même secteur.
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(2) I. GETZ et B. M. CARNEY, Liberté et Cie – Fayard, 2012
(3) P.Y. GOMEZ, Le gouvernement de l’entreprise : modèles économiques et pratiques de gestion – Interéditions, 1996