Quoi de plus triste que de constater qu’en ces temps de déconfinement d’une grave crise sanitaire qui a mis en évidence la faiblesse structurelle de nos économies européennes, nos économistes s’empressent de retrouver leur discours traditionnel. Comme si la page était tournée, comme si l’on pouvait oublier, comme si l’économie du monde pouvait retrouver son prétendu « cours normal ».
Le chant du « Surtout ne changeons rien ! L’après doit revenir à ce qui existait avant ».
La productivité, les économies d’échelle, la concurrence, comprenez-vous ! Les entreprises ne peuvent pas y échapper ! Et tel professeur d’économie qui nous assène son cours d’économie internationale qu’elle a rabâché à ses étudiants depuis des années… La spécialisation internationale qui améliore l’efficacité économique au bénéfice de tous. Quelle déception de constater que nos économistes s’empressent de retourner à leurs refrains néo-libéraux sans chercher à réfléchir pour inventer de nouvelles solutions, de nouvelles voies, de nouvelles stratégies.
Ces formules nouvelles qu’il faut trouver pour que nos entreprises se développent de façon rentable tout en permettant à nos économies régionales, nationales et européenne de retrouver une certaine indépendance dans des domaines aussi cruciaux que l’alimentation, la pharmacie, l’énergie, l’informatique, l’armement et j’en passe.. On veut nous expliquer que la segmentation internationale des chaines de production est devenue incontournable et qu’il ne faut pas rêver de revenir vers plus d’autonomie. On veut aussi mettre en avant le comportement des consommateurs que nous sommes qui n’acceptent pas de payer le prix d’une sécurité ou le prix du respect de l’environnement ou même du respect des principes de droit du travail de l’OIT. Les vilains consommateurs que nous sommes entreraient ainsi en contradiction avec les salariés que nous pouvons être, soudainement privés d’emploi. Tout cela est présenté comme inévitable…..finalement.
Tous les économistes ne raisonnent heureusement pas de cette façon !
Ces économistes conventionnels ignorent tout simplement les coûts environnementaux et sociaux de la production, la question de sécurité des approvisionnements, l’aménagement des territoires. Tout cela est superbement considéré comme hors de propos. Ils aiment particulièrement raisonner « toutes choses égales par ailleurs ».
Il ne s’agit pas pour autant de prôner une planification impérative comme le font certains. Ainsi, selon Henri Sterdyniak (1), membre du collectif des Economistes atterrés et chercheur affilié à l’OFCE, la planification écologique et sociale doit remplacer le libéralisme. Il met en garde contre une « exacerbation libérale » qui prendrait appui sur la crise sanitaire et propose de poser un certain nombre de règles écologiques qu’il faudrait imposer aux entreprises. Il suggère d’aller jusqu’à un contrôle de la production sous la forme d’autorisations de mise sur le marché. Il propose même une forme de planification impérative. De telles contraintes semblent incompatibles avec une régulation souple et efficace des activités. Ce serait là tomber de Charybde en Scylla.
Raisonner au niveau du territoire de l’Union Européenne est quand même une base minimale si l’on veut réfléchir aujourd’hui de façon à la fois responsable et réaliste, en tenant compte des interdépendances industrielles qui se sont constituées en Europe.
Réexaminer des outils comme la taxation des produits importés qui ne sont pas respectueux de nos normes européennes environnementales ou du droit du travail, ou de la propriété industrielle.
Promouvoir les produits dont la valeur ajoutée a été majoritairement composée en Europe par des labels dont la publicité est prise en charge par les pouvoirs publics et par des avantages fiscaux qui se justifient aussi par le développement de l’emploi qui en découle.
Encourager les secteurs stratégiques sur la base des innovations induites et du développement à venir, mais aussi sur la base de la souveraineté sanitaire et alimentaire ou aussi de défense des territoires et des équilibres écologiques de l’UE, car si l’on parle de globalisation il faut prendre en compte la globalité des problèmes.
Planifier l’économie est une démarche logique dans un environnement instable et/ou menaçant car le marché a montré tous ses avantages mais aussi toutes ses limites comme instrument de régulation de l’activité des entreprises. Le marché doit donc être complété de façon indispensable par un effort de planification qui pourrait se situer au niveau européen comme au niveau national. Mais compléter le marché ne signifie pas le remplacer. Une planification incitative et indicative est aujourd’hui incontournable pour orienter le développement économique de nos pays européens dans le bon sens, celui de la transition écologique et celui de l’indépendance dans la satisfaction de nos besoins fondamentaux. Mais cette planification doit indiquer aux entreprises quelles voies emprunter pour servir l’intérêt général et doit inciter les entreprises dans ce sens, sans rien imposer. Il ne s’agit pas de remplacer la dictature du marché par celle d’une bureaucratie, car nous serions alors tous perdants.
John Maynard Keynes fut l’éminent économiste qui développa une théorie complètement nouvelle dans le contexte de la grande crise économique mondiale des années 30.
Notes:
(1) Voir l’entretien du 01/07/2020 dans Alternatives économiques N° 403, Juillet 2020
(2) Voir aussi l’article Relocalisation, calcul d’optimisation et planification incitative dans ce même blog